• Irrigation agricole : la fuite en avant !

    La mise en oeuvre d'une gestion de l'eau qui en respecte le cycle naturel, doit se traduire par des arbitrages parfois difficiles : la ressource doit être préservée, et les milieux aquatiques rester fonctionnels ; certains usages - au premier rang desquels figure l'alimentation humaine - doivent pouvoir être assurés.

    Le partage de l'eau suppose parfois que certaines pratiques soient réévaluées. C'est le cas de l'irrigation agricole, quand le niveau des prévèlements qu'elle opère s'avèrent excessif... Sujet difficile, qui autorise, hélas, toutes les dérives démagogiques, avec la vieille rengaine de la prétendue création de ressource, ou encore celle du pseudo-scandale que représenterait le fait de laisser filer l'eau à la mer (ce qu'elle fait, pourtant, depuis la nuit des temps !).

    Alors qu'en Vendée comme ailleurs un lobbying intense s'affaire à promouvoir la création de réserves d'eau et à mobiliser dans cet objectif un maximum d'argent public  au bénéfice d'une minorité d'agriculteurs irrigants, nous publions ici le point de vue de Bernard Rousseau (responsable des politiques "eau" de France Nature Environnement.

    Irrigation agricole : la fuite en avant !

    Une réserve d'irrigation en Vendée.

    ► Extrait de La Lettre eau de France Nature Environnement, n° 57, janvier 2012 :

    Un plan de retenues... sans retenue !

    par Bernard ROUSSEAU,
    ancien Président de France Nature Environnement,
    responsable des politiques Eau.

    En visite le 9 juin 2011 dans le département de la Charente, le Président de la république a annoncé qu’un « ...plan à 5 ans pour la création de retenues d’eau va être déployé...».

    Les élections Présidentielles approchant, l’affaire n’a pas traîné, et le 9 novembre 2011, FNE était invitée au Ministère de l’Environnement pour découvrir, et éventuellement commenter, le Plan gouvernemental en question.

    Après avoir escaladé la paroi sud de la Grande Arche, ce fleuron architectural du quartier de la Défense qui abrite le Ministère de l’Environnement, les conditions de cette consultation nous ont vite semblé acrobatiques sous le contrôle sévère du Ministère de l’agriculture. Qu’on en juge : convocation la veille, lecture d’un texte de 11 pages sans possibilité de l’amender, sans changer une virgule, sans même pouvoir l’emporter pour s’en délecter, et pour finir, l’immense privilège de pouvoir le consulter sur le site du ministère sept jours après.

    On ne nous avait jamais fait un coup pareil… nous pensions que ce n’était même pas envisageable après le Grenelle de l’environnement, ce phare emblématique de la gouvernance à cinq qui, jour après jour, sombre un peu plus sous les coups de la « Real » politique, car qui peut le plus peut le pire !

    Donc un plan gouvernemental sur fond de menace climatique pour répondre aux revendications de l’APCA (1), de la FNSEA (2), et certainement pas de la majorité des agriculteurs qui n’irriguent pas, qui n’irrigueront jamais (3) car seulement une partie de la surface agricole utile est physiquement irrigable. Un plan sur 5 ans, d’un volume total de 40 millions de m3 pour un montant de 120 M€ (millions d’euros).

    Les collectivités territoriales et leurs groupements, les EPTB (4), les syndicats mixtes, ou encore les associations d’irrigants ou de propriétaires de terrains irrigués ou irrigables, peuvent se porter maîtres d’ouvrages pour ces retenues collectives. Les Chambres d’Agriculture ne le peuvent pas aujourd’hui, mais une modification législative leur conférant le statut de maître d’ouvrage a été introduite dans la proposition de loi Warsmann (5), elle sera adoptée par l’assemblée Nationale début 2012.

    En conséquence, les Chambres d’Agriculture qui peuvent déjà être « Organisme unique » (6), vont pouvoir en plus se porter « maître d’ouvrage » pour les retenues d’eau et ainsi brûler la chandelle par les deux bouts car dans ce plan il est question d’irrigation mais surtout de financements publics.

    Ainsi, les retenues collectives vont pouvoir bénéficier d’aides publiques en provenance des agences de l’eau, des fonds européens (FEADER (7)), du MAAPRAT (8), et des collectivités avec un taux plafond d’aide publique de 75% : un cadeau royal en période électorale.

    Le FEADER devrait apporter 15 M€, les agences de l’eau 75 M€ (9), au total 90 M€ sur un total de 120 M€.

    Resteraient à la charge des maîtres d’ouvrages 30 M€ de fonds privés, alors que les moyens financiers des syndicats mixtes, des collectivités, des EPTB, et des Chambres d’Agriculture (10), proviennent de l’impôt : paradoxe !

    Sans détourner la loi, qui pourrait alors apporter les 25% de fonds non publics ? Les Associations Syndicales Autorisées (ASA), éventuellement...

    Restent surtout les grands groupes de l’agro-alimentaire (11) dont la puissance financière n’est plus à démontrer. Ils dominent le monde de l’agriculture, passent des conventions avec les agriculteurs pour des productions spécialisées, imposent les cahiers des charges, les règles d’irrigation, et les conditions d’utilisation des engrais et des phytosanitaires.

    L’eau est aussi un facteur de production, c’est pourquoi les coopératives et les grands groupes de l’agroalimentaire militent discrètement pour la création de retenues d’eau car au bout du compte ils seront les bénéficiaires indirects des aides publiques, les fameux 75% apportés par les Agences de l’eau... etc.

    En venant en Vendée le 15 décembre 2011 soutenir publiquement la création de retenues d’eau, Eric Orsenna (12), l’homme qui se préoccupe de « l’avenir de l’eau » a déclaré : « derrière les interdictions, il y a ceux qui veulent produire moins, ceux qui n’aiment pas la croissance. Ils ne sont pas fréquentables. »

    Voilà bien un effet de tribune en milieu confiné à retourner comme une crêpe, car qui est plus fréquentable ? Ceux qui veulent prendre en compte la contrainte environnementale ou ceux qui diffusent à tout va nitrates et pesticides au point de contaminer les ressources en eau de la planète, ce qu’un globe-trotter ne peut ignorer : Eric, il faut lire plus souvent la Lettre eau !

     ________________

    (1) APCA : Assemblée permanente des chambres d’agriculture.

    (2) FNSEA : Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.

    (3) 60% des agriculteurs estiment que le stockage de l’eau n’est pas une priorité selon un sondage Ifop pour la FNSEA (Baromètre de conjecture agricole – Vague 9 – Juin 2011).

    (4) EPTB : Etablissement publics territoriaux de bassin.

    (5) La proposition de loi Warsmann est une loi de simplification des procédures administratives qui pourrait donner aux chambres d’agriculture la responsabilité de réaliser et de gérer les installations vouées à l’irrigation agricole.

    (6) Organismes uniques qui partagent l’eau entre les agriculteurs.

    (7) FEADER : Fonds européen agricole pour le développement Rural.

    (8) MAAPRAT : Ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du Territoire.

    (9) Le taux d’aide des agences de l’eau ne pourrait excéder 70% du coût des travaux au maximum. (10) Les chambres d’agriculture sont des organismes professionnels à caractère d’établissement public dont les finances proviennent de l’impôt à hauteur d’environ 60%.

    (11) Le chiffre d’affaires des grands groupes de l’agro-alimentaire et des coopératives a augmenté. Par exemple, le chiffre d’affaires consolidé de Limagrain s’est établi à 1 555 M€ en 2011 contre 1349 M€ en 2010, soit une augmentation de 11,6% à périmètre constant. Le résultat net s’est élevé à 92 M€ en 2011 contre 69 M€ en 2010. Source : chambre d’agriculture 85. Delphine Bisson. Webmaster 31/12/2011.

    (12) Assemblée générale de la coopérative agricole vendéenne d’approvisionnement et de vente de céréales (CAVAC) où Eric Orsenna était grand témoin – article Ouest-France du 16/12/2011.

    « Sur le projet de retenue d'eau d'irrigation de Nesmy.Projet autoroutier A831 : La voie est loin d’être dégagée ! »
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